Le port d’arme en est un élément essentiel. Juste comme ça.
L’ARPAC

Juge d’instruction pendant dix ans à l’antiterrorisme, Marc Trévidic pose un regard lucide sur les attentats récents et la France post-“Charlie”. Le magistrat dénonce les rustines politiciennes que certains brandissent en guise de panacée. Une parole éclairante.
– Sipa

Il a beau s’être «exilé» à Lille, où il est désormais vice-président au tribunal de grande instance, il suit toujours avec attention les questions liées au terrorisme. Sollicité en permanence par les médias, dragué par les politiques qui verraient bien un des spécialistes les plus respectés de la question leur amener la crédibilité à laquelle ils aspirent, Marc Trévidic élude la question de son retour aux affaires. Après dix ans passés comme juge d’instruction au pôle antiterroriste, il a atteint la limite fixée par le statut de la magistrature pour cette fonction. Les places sont chères dans ces postes prestigieux, et sa personnalité, sa tendance à s’exprimer facilement et sans détour ne lui ont pas apporté que des amis au sein de l’institution. Quant à ses prises de position sur la loi sur le renseignement, «arme redoutable si elle est mise entre de mauvaises mains», elles ont crispé beaucoup de monde dans les services.

Pourtant, de tous les magistrats, il est celui qui a la connaissance la plus approfondie des dossiers brûlants du moment, et le meilleur recul sur la genèse du terrorisme djihadiste. De la rue des Rosiers à la filière de Toulouse-Artigat en passant par l’assassinat des moines de Tibéhirine et l’attentat de Karachi, Marc Trévidic a pu dresser, à force d’auditions, d’enquêtes, mais aussi de déplacements et de lectures, une cartographie de la nébuleuse islamiste, de son histoire, de ses alliances, de ses ruptures et de ses luttes d’influence. Il a rencontré des centaines de prévenus radicalisés, a décortiqué leur psychologie, leurs haines, leurs forces et leurs faiblesses. On connaît sa parole claire, sa capacité à synthétiser et à aller droit au but. Pour lui, la menace terroriste est aujourd’hui au plus haut, car l’Etat islamique est en train de perdre la guerre en Syrie et en Libye. Une guerre nécessaire, indispensable à mener, mais qui aura forcément d’autres conséquences sur notre territoire dans les deux ou trois années à venir.

Selon le magistrat, cette situation, que les responsables politiques n’ont pas voulu voir venir – par aveuglement ou calcul -, impose désormais aux Français d’adapter leur comportements. Il souhaite également que les candidats à l’élection présidentielle ne tombent pas dans la surenchère que l’Etat islamique appelle de ses vœux.

Marianne : Les tragédies de ces derniers mois laissent craindre d’autres attaques terroristes sur notre territoire. Quel est l’état réel de la menace aujourd’hui, et quelles sont les cibles principales ?

Marc Trévidic : La menace est maximale, et la protection des écoles est logique. On a affaire à des gens qui nous connaissent, qui viennent de chez nous, et qui savent que s’attaquer à des enfants, c’est insupportable. S’ils font ça, des mesures très dures seront prises, et c’est ce qu’ils cherchent : ils veulent des représailles pour créer un sentiment d’oppression chez les musulmans et pouvoir recruter à nouveau. C’est l’effet domino : on vous tape, vous nous tapez, on recrute derrière. Ils veulent le chaos, la guerre civile. Leur objectif, c’est qu’on crée, grosso modo, des camps de concentration avec des miradors pour y mettre les jeunes radicalisés. Mais, comme ils n’y arrivent pas avec les attentats qu’ils ont déjà commis, il faut qu’ils tapent encore plus fort. Ils cherchent l’impact maximal. Pour cela, la période électorale qui s’annonce est idéale. Des attentats d’envergure avant mai 2017, c’est l’assurance d’une surenchère quasiment sans limites. A la moindre action terroriste, tous les hommes politiques vont se succéder au journal de 20 heures pour proposer des mesures plus énergiques que celles des autres. En se foutant d’ailleurs complètement de leur efficacité, du moment que ça donne l’impression d’être dur.

Quels sont les endroits à protéger en priorité ?

Les endroits où il y a des enfants. Si on les protège bien, ils taperont ailleurs. Ce sera certainement terrible, mais au moins ce sera ailleurs. Il ne faut pas sombrer dans la psychose mais se mettre à vivre différemment, adopter des réflexes à l’israélienne. On ne peut pas mettre des policiers et des militaires partout, donc il faut prendre des mesures particulières, faire des exercices, savoir se protéger, fuir, étudier les itinéraires pour évacuer les enfants dans les écoles, en mettre un maximum à l’abri, faire des sas sécurisés avec des portes blindées, ce genre de choses.

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Marianne